Comprendre pour accepter la bipolarité

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Lorsqu’on vit avec une alternance d’états émotionnels extrêmes, parfois euphoriques et parfois très dépressifs, on peut facilement se sentir confus, honteux ou dépassé par ce que l’on ressent. Ces variations intenses ne sont pas le signe d’une faiblesse ou d’un défaut moral, mais peuvent être le symptôme d’un trouble bipolaire, caractérisé par des fluctuations importantes de l’humeur, liées à un déséquilibre neurochimique du cerveau (Goodwin & Jamison, 2007).

Mettre des mots sur ces variations n’est pas une condamnation, mais une étape essentielle vers la stabilisation et la gestion efficace du trouble bipolaire (Frank et al., 2005).

1. Qu’est-ce que le trouble bipolaire ?

Le trouble bipolaire est un trouble neurobiologique complexe marqué par des déséquilibres chimiques, notamment de la dopamine, de la sérotonine et de la noradrénaline, qui entraînent des fluctuations majeures de l’humeur, de l’énergie et du comportement (Goodwin & Jamison, 2007).

Il se manifeste par :

  • Des phases hautes (maniaques ou hypomaniaques), caractérisées par une excitation intense, une énergie accrue, une confiance excessive, et parfois des comportements à risque.

  • Des phases basses (dépressives), caractérisées par une tristesse profonde, une perte d’énergie, une sensation de vide ou de ralentissement important.

Ces phases peuvent être séparées par des périodes de stabilité, mais leur intensité et leur récurrence perturbent généralement la vie personnelle, sociale et professionnelle (Frank et al., 2005).

2. Ce que révèle la recherche en neurosciences

Des études récentes en psychiatrie biologique et en neuroimagerie montrent clairement que le trouble bipolaire est associé à (Phillips & Swartz, 2014) :

  • Un dérèglement des circuits limbiques (impliqués dans les émotions et la motivation).

  • Une hypersensibilité du système dopaminergique, entraînant un excès de dopamine durant les phases maniaques et un déficit durant les phases dépressives.

  • Une perturbation des rythmes circadiens (cycles veille/sommeil) et de la régulation du cortex préfrontal (responsable du contrôle de soi et de la prise de recul).

Ainsi, la bipolarité est un fonctionnement cérébral particulier qui nécessite un cadre de vie et un accompagnement spécifique, plutôt qu’un simple problème de volonté personnelle (Goodwin & Jamison, 2007).

3. Les différentes formes du trouble bipolaire

La psychiatrie distingue principalement deux formes cliniques majeures du trouble bipolaire (American Psychiatric Association, 2013) :

  • Type I : alternance de dépressions majeures et d’épisodes maniaques intenses, avec parfois une perte partielle du contact avec la réalité. C’est souvent la forme la plus visible et violente.

  • Type II : alternance de dépressions majeures et d’épisodes hypomaniaques, moins spectaculaires, mais tout aussi perturbants et complexes à identifier clairement.

Il existe également des formes plus difficiles à diagnostiquer comme :

  • Les états mixtes (mélange d’euphorie et de détresse, d’agitation et d’apathie).

  • Les cycles rapides, où plusieurs épisodes apparaissent sur une période courte (plusieurs fois par an ou par mois).

Ces formes complexes demandent un accompagnement spécialisé pour être correctement diagnostiquées et stabilisées (Frank et al., 2005).

4. Reconnaître clairement les signes du trouble bipolaire

Signes typiques d’une phase haute (maniaque ou hypomaniaque) :

  • Besoin de sommeil réduit (2-4 heures seulement), sans fatigue apparente.

  • Pensées rapides, sensation d’inspiration permanente.

  • Parole abondante, difficulté à écouter.

  • Multiplication des projets, impulsivité, surconfiance.

  • Comportements à risque, dépenses excessives, sexualité désinhibée.

  • Hyperactivité sociale ou irritabilité marquée (Goodwin & Jamison, 2007).

Signes typiques d’une phase basse (dépressive) :

  • Fatigue intense, ralentissement physique et mental.

  • Difficulté à effectuer les gestes du quotidien (se lever, se laver, parler).

  • Perte d’intérêt, d’envie et de plaisir.

  • Dévalorisation profonde, vide émotionnel.

  • Troubles du sommeil (insomnies ou hypersomnie).

  • Idées suicidaires possibles et retrait social extrême (Goodwin & Jamison, 2007).

Reconnaître ces signes est une première étape pour reprendre la main sur sa vie (Frank et al., 2005).

5. Pourquoi un diagnostic clair change tout ?

Sans diagnostic précis, les personnes concernées vivent souvent des années d’incompréhension, d’instabilité relationnelle et professionnelle, ainsi qu’une culpabilité profonde (Goodwin & Jamison, 2007).

Un diagnostic médical clair, posé par un professionnel, permet de :

  • Recevoir un accompagnement adapté (thérapies, traitements médicamenteux, suivi régulier).

  • Identifier ses cycles émotionnels, ses déclencheurs spécifiques et ses signaux d’alerte précoces.

  • Partager un langage commun avec les proches, les thérapeutes et les médecins.

  • Mettre en place un rythme de vie stable (voir Frank et al., 2005), facteur central pour éviter les crises.

  • Échanger avec d’autres personnes ayant vécu la même expérience, ce qui aide à comprendre, relativiser et à réduire la honte liée aux actes effectués pendant les crises (Goodwin & Jamison, 2007).

Un diagnostic n’est pas une identité ni une faiblesse. C’est un levier pour construire une vie riche, créative, aimante, malgré ou même avec la bipolarité.

Conclusion

Comprendre et accepter sa bipolarité n’efface pas immédiatement toutes les difficultés, mais permet de reprendre progressivement le contrôle de sa vie (Frank et al., 2005). C’est apprendre à vivre en tenant compte de cette sensibilité émotionnelle et cérébrale particulière, sans se laisser définir uniquement par elle.

Ainsi, accepter son trouble bipolaire, c’est ne plus subir passivement les fluctuations extrêmes, mais apprendre à les anticiper, les réguler et les intégrer dans une vie pleine, vivante et véritablement humaine.

Il ne s’agit pas simplement de « vivre avec », mais bien d'apprendre à construire une vie équilibrée et heureuse malgré cette condition (Goodwin & Jamison, 2007).