Etude scientifique sur les coupeurs de feu

Une radiothérapie qui brûle, un zona qui démange jusqu’aux larmes… et soudain, une prière, un appel discret, un geste simple. Le soulagement arrive. Coïncidence ? Effet placebo ? Don divin ? Chaque année, des milliers de Français se tournent vers les "coupeurs de feu", ces personnes parfois croyantes, souvent anonymes, qui prétendent soulager les douleurs par la prière ou l’imposition des mains, parfois même à distance. Derrière ces pratiques souvent ancrées dans la foi chrétienne, se cache une réalité peu documentée, mais bien vivante.

Dans cet article, on explore les guérisons chrétiennes, les pratiques de "barreurs de feu", leur lien avec l’Église, les hôpitaux, les études disponibles… et les questions que tout cela soulève.

Qui sont les coupeurs de feu ?

Une pratique très vivante en France

En France, on estime à environ 6 000 le nombre de coupeurs de feu actifs selon des données relayées par Le Figaro et la revue RoseUp (2023). Présents autant dans les campagnes que dans les grandes villes, ces guérisseurs opèrent souvent en marge du système médical officiel, mais pas toujours dans l’ombre.

Leur mission ? Soulager brûlures, zonas, effets de la radiothérapie, et parfois d'autres douleurs, par des prières, formules "secrètes", signes de croix ou simplement l’imposition des mains.

Des gestes simples, des mots souvent chrétiens

Les coupeurs de feu utilisent des prières transmises oralement, parfois associées à des saints (comme saint Laurent ou la Vierge Marie). Nombre d’entre eux affirment pratiquer exclusivement dans une foi chrétienne :

« Ce n’est pas moi qui guéris, c’est Dieu qui agit à travers les coupeurs de feu »

La pratique du "secret" (prière non dévoilée, censée perdre son efficacité si révélée) est typique. Les gestes sont sobres : croix tracée au-dessus de la peau, prières murmurées, parfois même par téléphone. Des pompiers ou hôpitaux gardent leurs contacts à disposition en cas d’urgence pour des brûlures. Cependant, beaucoup se sont exprimés et beaucoup sont disponible sur internet.

Études scientifiques : placebo, science ou trou aveugle ?

Lorsqu’on aborde les coupeurs de feu et les guérisons chrétiennes sous un angle scientifique, une question s’impose immédiatement : ces pratiques ont-elles une efficacité mesurable, reproductible, démontrable selon les critères classiques de la médecine ? En d’autres termes : est-ce que ça marche vraiment ?

Ce que disent les études disponibles

1. L’étude de l’Institut de cancérologie de la Loire (2016)

C’est l’une des rares enquêtes sérieuses et quantitatives menées en France sur le sujet.

  • Échantillon : 850 patients (600 femmes traitées pour cancer du sein, 250 hommes pour cancer de la prostate), tous suivis par radiothérapie.

  • Résultat principal :

    • 60 % des femmes et 40 % des hommes ont eu recours à un coupeur de feu pendant leur traitement.

    • Aucune différence médicale objective n’a été constatée sur les effets secondaires des traitements entre ceux qui l’ont fait et ceux qui ne l’ont pas fait.

    • MAIS : 80 % des patients ayant fait appel à un coupeur disent avoir ressenti un soulagement ou une amélioration du confort.


Interprétation : sur le plan biologique (brûlures, inflammation, récupération cutanée), aucun effet mesurable.
Mais sur le plan psychologique, sensoriel, émotionnel, un ressenti de soulagement important et rapporté massivement.

2. Les travaux de Bruno Falissard (psychiatre, biostatisticien, membre de l’Académie de médecine)

Bruno Falissard ne s’intéresse pas uniquement aux coupeurs de feu, mais plus largement à l’effet thérapeutique du contexte, de la relation et de la foi dans le soin.

« Nous sous-estimons totalement l’importance du symbolique, de la relation humaine, de la spiritualité dans le soin. »

Il rappelle que l’effet placebo, loin d’être une illusion, est mesurable neurologiquement :

  • Activation des circuits de la récompense.

  • Libération d’endorphines et d’anti-inflammatoires naturels.

  • Diminution de la perception douloureuse via les voies descendantes de la douleur.

Pour lui, un patient qui croit qu’il est aidé souffre réellement moins, même sans action pharmacologique.

Il plaide donc pour plus de recherches sur ces effets non spécifiques du soin : attention, empathie, espérance, foi…

3. Les analyses critiques de Richard Monvoisin (Université Grenoble Alpes, chercheur en zététique)

Monvoisin s’est intéressé à la croyance dans le magnétisme et les guérisseurs, notamment les coupeurs de feu.

Ses observations clés :

  • La majorité des patients consultent au pic de la douleur : une amélioration est donc quasi inévitable ensuite (effet dit de régression vers la moyenne).

  • Les brûlures légères (type 1er ou 2e degré superficiel) cessent naturellement de brûler au bout de 30-45 min, même sans traitement.

« Le soulagement qu’on attribue au coupeur de feu est souvent dû à la physiologie naturelle. »

Il note aussi que la mémoire humaine est très malléable : si on va mieux après une prière, même sans lien causal, on attribue le mérite à l’action visible la plus marquante.

4. Placebo et études en double aveugle : pourquoi c’est compliqué

Pour être rigoureux, une preuve d’efficacité en médecine repose généralement sur :

  • Une étude randomisée (tirage au sort des patients),

  • En double aveugle (ni le patient ni le thérapeute ne savent si c’est un vrai traitement ou un placebo),

  • Et avec un groupe contrôle (sans intervention, ou placebo pur).

Dans le cas des coupeurs de feu :

  • On ne peut pas “aveugler” une prière ou une présence humaine.

  • L’action est hautement symbolique et relationnelle (impossible à standardiser).

  • Le résultat attendu est souvent subjectif (moins de douleur, plus de paix intérieure).

👉 Résultat : les méthodes classiques d’évaluation échouent à capturer ce type d’efficacité.
Mais cela ne signifie pas que les effets n’existent pas – simplement qu’ils ne sont pas mesurables comme un médicament.

Et si l’important, c’était le ressenti du patient ?

Du point de vue médical traditionnel, ce que l’on ne peut pas objectiver n’existe pas. Mais les soignants sur le terrain sont plus nuancés.

  • Le Dr Claude Boiron, cancérologue à l’Institut Curie, dit clairement :

« Personnellement, j’ai des retours bluffants. Si ça soulage, c’est positif. »

  • Même son de cloche chez le Pr Falissard :

« Ces gens donnent du temps, du toucher, une attention individuelle. Ça peut suffire à apaiser. »

Un "traitement" sans effets secondaires ni interactions

Contrairement à certaines médecines alternatives aux effets parfois douteux ou risqués :

  • Les coupeurs de feu n’interfèrent pas avec les médicaments.

  • Ils ne promettent pas de guérir, mais simplement d’apaiser.

  • Ils agissent en complément, pas en substitution.

En cela, leur "bénéfice-risque" est quasi nul — tant que la pratique reste encadrée (gratuite ou peu coûteuse, respectueuse du suivi médical).

En résumé : ce que dit la science aujourd’hui

Ce qui est démontré :

  • Effet placebo puissant.

  • Ressenti de soulagement très fort et fréquent.

  • Impact émotionnel et psychologique positif pour beaucoup de patients.

Ce qui n’est pas démontré :

  • Efficacité spécifique des prières ou formules secrètes.

  • Action directe sur les tissus, les brûlures, ou le cancer.

  • Supériorité par rapport à d'autres formes de réconfort (hypnose, méditation, sophrologie…).

Ce qui reste à explorer :

  • Comment mesurer efficacement les bénéfices subjectifs ?

  • Quelle place pour la spiritualité dans une médecine basée sur les preuves ?

  • Peut-on intégrer ces approches dans une médecine dite "intégrative" ou "de soutien" sans tomber dans le charlatanisme ?

Et l’Église catholique dans tout ça ?

Une reconnaissance prudente

L’Église reconnaît la prière de guérison comme une réalité biblique. Le Christ a guéri, les apôtres aussi. Mais elle met en garde contre les pratiques magiques ou occultes.

En 2000, le Vatican a publié une Instruction sur les prières de guérison, rappelant que :

« La prière doit être en lien avec l’Église, dans un cadre transparent. »

Les pratiques secrètes, ambigües, ou monnayées sont fermement déconseillées.

Chanoine Alain Chardonnens :
« Un véritable don de l’Esprit Saint ne craint pas d’être montré au grand jour. »

Charisme ou superstition ?

Certains prêtres reconnaissent que des laïcs peuvent recevoir un "charisme de guérison", mais uniquement dans une démarche spirituelle claire, sans secret ni confusion.


Une seule étude majeure… et pourtant 80 % d'avis positifs

À ce jour, une seule étude française sérieuse et chiffrée s’est penchée de manière méthodique sur le recours aux coupeurs de feu par des patients en soins médicaux lourds. Elle a été menée en 2016 par l’Institut de cancérologie Lucien Neuwirth de la Loire, avec l’appui de la structure de soins de support du CHU de Saint-Étienne (source : Le Progrès, France 3 Auvergne-Rhône-Alpes).

Ce que montre cette enquête

  • 850 patients interrogés :

    • 600 femmes traitées pour un cancer du sein.

    • 250 hommes traités pour un cancer de la prostate.

  • 60 % des femmes et 40 % des hommes ont déclaré avoir consulté un coupeur de feu durant leur traitement par radiothérapie.

  • Et surtout :
    👉 80 % des patients ayant eu recours à ces pratiques affirment en avoir retiré un bénéfice perçu (soulagement, bien-être, sensation de chaleur, apaisement de la douleur ou du stress).

Ce que l’étude ne prouve pas

L’enquête, même sérieuse sur le plan méthodologique (questionnaires anonymes et traitements comparés), ne prouve aucune efficacité médicale objective.
Les chercheurs ont constaté que :

  • Les effets secondaires rapportés (brûlures cutanées, inflammations, fatigue…) étaient identiques entre les deux groupes (avec ou sans coupeur de feu).

  • Aucune amélioration mesurable de l’état médical n’a été observée.

En d'autres termes : les patients qui y ont eu recours ne sont pas allés "mieux", mais se sont sentis mieux.

Pourquoi cette étude est pourtant cruciale ?

  • C’est la seule donnée statistique française de cette ampleur sur ce phénomène.

  • Elle révèle une forte réalité d’usage : des milliers de patients sollicitent ces pratiques en silence, souvent sans en parler à leur oncologue.

  • Elle confirme une expérience subjective largement positive, qui mérite d’être écoutée même si elle reste non mesurable.


Pourquoi y a-t-il si peu d'études sur le sujet ?

On pourrait penser qu’un tel engouement — 60 % d’usage, 80 % de satisfaction — déclencherait des programmes de recherche. Ce n’est pas le cas. Voici pourquoi.

1. Pas de mécanisme biologique connu

Les coupeurs de feu n’agissent ni par molécule, ni par intervention physique mesurable. Ils utilisent :

  • Des prières secrètes, donc difficilement observables.

  • Des gestes symboliques, non quantifiables.

  • Un effet ressenti, et non des paramètres biomédicaux.

Or, la médecine fondée sur les preuves (EBM) repose sur des protocoles reproductibles, sur des mécanismes d’action observables. Le cadre scientifique standard ne sait pas comment tester une prière ou un effet spirituel.

2. L’effet placebo est suffisant comme explication

Pour une grande partie des chercheurs, l’effet placebo explique largement les retours positifs :

  • Attente de soulagement = soulagement réel.

  • Rituels = sécurité, cadre, contrôle.

  • Présence empathique = diminution du stress = diminution de la douleur.

Ce phénomène est validé neurologiquement par l’IRM fonctionnelle. Il n’est pas "imaginaire", mais ne nécessite pas d’intervention spécifique. D’où une faible incitation à explorer davantage ces pratiques particulières.

3. Peu d’intérêt économique ou académique

Autre obstacle : aucun laboratoire ne finance ce type de recherche :

  • Pas de médicament à breveter.

  • Pas de technologie à vendre.

  • Pas de résultat valorisable industriellement.

Même dans la recherche publique, ces sujets sont souvent jugés trop "marginalisés" ou pas "sérieux" par les comités d’éthique scientifique.

🔍 Bruno Falissard, psychiatre et chercheur, l’a souligné dans plusieurs interviews :
« On ne met pas assez d’argent sur les études qui explorent ces sujets sensibles. Du coup, on reste aveugles sur ce que vivent réellement les patients. »

4. Crainte d’être taxé d’irrationalité

Dernier frein : le tabou académique. Dans un monde de la recherche attaché au rationalisme, s’intéresser à la prière, au magnétisme ou au "secret" est perçu comme suspect.

Même des chercheurs bien intentionnés peuvent craindre :

  • De nuire à leur carrière.

  • De voir leur travail marginalisé.

  • D’être instrumentalisés par des mouvements pseudo-scientifiques ou religieux.

Résultat : peu de recherches sérieuses osent s’y aventurer, sauf en sociologie, anthropologie ou histoire des religions.

Ce que cela implique pour l’avenir

La science ne dit pas que ces pratiques sont inefficaces, elle dit qu’elle n’a pas les outils actuels pour les mesurer selon ses standards.
Ce qui soulève une vraie question :
Comment étudier sérieusement des pratiques non mesurables ?

Certains suggèrent :

  • D’élargir les critères de recherche au ressenti des patients (qualité de vie, vécu corporel, sérénité).

  • D’intégrer des approches pluridisciplinaires (médecine, psychologie, sociologie, théologie).

Mais en attendant, le monde scientifique reste en retrait, et les coupeurs de feu continuent leur travail.

Coupeurs de feu à l’hôpital : une pratique officieuse mais bien réelle

Longtemps relégués aux marges de la médecine, les coupeurs de feu — ces personnes qui prétendent soulager les brûlures par des prières ou des gestes — trouvent aujourd’hui une place, discrète mais tangible, dans certains hôpitaux français. Bien que leur efficacité ne soit pas scientifiquement prouvée, leur intervention est parfois proposée aux patients, notamment en oncologie et en cas de brûlures.

Des hôpitaux qui collaborent avec des coupeurs de feu

Plusieurs établissements hospitaliers ont mis en place des collaborations avec des coupeurs de feu :jocelinmorisson.fr

  • CHU de Grenoble : Une enquête menée en 2016 a révélé l'existence d'une liste de coupeurs de feu affichée dans le service de chimiothérapie. Cette liste, bien que non officielle, est utilisée par certains soignants pour orienter les patients vers ces praticiens. Le professeur François Moutet, responsable du service des grands brûlés, reconnaît que, bien que ces pratiques ne soient pas scientifiquement validées, elles ne sont pas interdites tant qu'elles ne nuisent pas au patient. Le Cortecs

  • Hôpital de la Timone à Marseille : Le psychologue Eric Dudoit a mis en place, dès 2005, une liste de coupeurs de feu fiables, pratiquant gratuitement, pour répondre à la demande des patients. Il souligne l'importance d'accompagner les patients dans leur souffrance, même au-delà des traitements médicaux conventionnels. ladepeche.fr

  • Institut Bergonié à Bordeaux : Le professeur Nicolas Magné, radiothérapeute, indique que des listes de coupeurs de feu sont proposées aux patients qui en font la demande. Il précise que, bien que l'efficacité ne soit pas prouvée, ces pratiques peuvent apporter un soulagement psychologique aux patients. ladepeche.fr

  • Hôpitaux du Léman à Thonon-les-Bains : Une émission de France 2 a montré une coupeuse de feu intervenant auprès d'un enfant brûlé, avec l'accord du personnel médical. Cette pratique, bien que controversée, est tolérée dans certains services. Le HuffPost

  • Cette liste est non-exhaustive



Études et perceptions des soignants

Une thèse de Nicolas Perret, présentée en 2009, a évalué la place des coupeurs de feu dans la prise en charge des brûlures en Haute-Savoie. Les résultats montrent que :

  • 63 % des soignants interrogés estiment que l'efficacité des coupeurs de feu est "forte".jocelinmorisson.fr

  • 61 % jugent la collaboration avec eux "souhaitable"

  • 76 % des patients attribuent une note supérieure ou égale à 7 sur 10 à l'intervention des coupeurs de feu. jocelinmorisson.fr

Ces chiffres témoignent d'une reconnaissance empirique de leur action, bien que les mécanismes restent inexpliqués.


Conclusion

Bien que non reconnues officiellement, les interventions des coupeurs de feu sont tolérées dans certains hôpitaux français, notamment pour soulager les effets secondaires des traitements anticancéreux ou des brûlures légères. Leur efficacité n'est pas scientifiquement prouvée, mais de nombreux patients rapportent un soulagement réel. Dans un contexte où l'écoute et l'accompagnement du patient sont essentiels, ces pratiques, lorsqu'elles sont encadrées et gratuites, peuvent constituer un complément aux soins médicaux conventionnels.