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Résilience et Équilibre
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Il n’existe pas d’équilibre durable qui ne soit, un jour, mis à l’épreuve. Maladie, rupture, deuil, burn-out, perte de sens : la vie nous expose, tôt ou tard, à des événements qui ébranlent nos repères, troublent nos émotions, dérèglent nos habitudes — parfois de manière brutale, parfois de façon insidieuse. Face à cela, certaines personnes parviennent non seulement à tenir debout, mais à se reconstruire. Cette capacité d’adaptation après une déstabilisation majeure s’appelle la résilience.
Concept d’abord développé en psychopathologie de l’enfance (Werner & Smith, 1982), puis largement popularisé en France par Boris Cyrulnik, la résilience désigne la capacité à traverser l’épreuve sans s’effondrer durablement, et parfois à en sortir transformé. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’un retour à l’état d’avant, ni d’un refus de la douleur, mais d’un processus actif de réajustement psychique, émotionnel, corporel et symbolique (Bonanno, 2004 ; Vanistendael & Lecomte, 2000).
Les recherches en psychologie clinique montrent que la résilience n’est pas une qualité réservée à une minorité de personnes « fortes » : elle repose sur des ressources accessibles, internes (flexibilité mentale, narration, estime de soi) et externes (soutien social, stabilité minimale, cadre protecteur), mobilisables même dans la vulnérabilité (Ungar, 2011 ; Tedeschi & Calhoun, 2004).
Dans cet article, nous verrons comment les grands déséquilibres de vie — personnels, relationnels, professionnels ou existentiels — peuvent être reconnus, traversés, intégrés. Et comment la résilience permet, avec du temps et de l’accompagnement, de reconstruire un équilibre plus ajusté, plus conscient, parfois plus profond encore que celui d’avant.
Se relever, ce n’est pas oublier. C’est apprendre à marcher autrement, depuis un lieu en nous que la rupture a révélé.
I. Qu’est-ce que la résilience ?
Le terme "résilience" est aujourd’hui largement utilisé, parfois jusqu’à l’usure. Pour en retrouver la profondeur, il faut revenir à ses racines scientifiques et cliniques, qui décrivent un processus complexe, souvent silencieux, parfois invisible de l’extérieur, mais fondamental pour comprendre comment l’équilibre personnel peut se restaurer après une rupture.
I.A. Définition psychologique
La résilience est définie, dans le champ de la psychologie, comme :
La capacité à faire face à une adversité importante, à s’adapter aux circonstances imposées, puis à retrouver un fonctionnement psychique et social stable — éventuellement transformé.
Elle ne signifie ni retour à l’état antérieur, ni absence de souffrance. Elle implique une traversée, suivie d’un ajustement — un processus de recomposition interne qui permet à la personne de continuer à vivre, autrement, parfois plus lucidement.
Origine du concept :
Emmy Werner & Ruth Smith (1982) ont été parmi les premières à l’étudier empiriquement, en suivant pendant 40 ans une cohorte d’enfants nés dans des contextes défavorisés à Hawaï. Un tiers d’entre eux ont développé une trajectoire positive malgré l’adversité.
En France, Boris Cyrulnik a popularisé le concept dans le grand public, en insistant sur la possibilité de reconstruction par le sens, la narration, le lien humain (Un merveilleux malheur, 1999).
Aux États-Unis, George Bonanno (2004) a proposé une approche plus nuancée, montrant que la plupart des individus traversent les événements traumatiques sans développer de pathologie, grâce à des mécanismes d’adaptation flexibles, parfois discrets.
I.B. Facteurs influents : un processus multidéterminé
La résilience n’est pas une disposition fixe : elle est conditionnée par un ensemble de facteurs, qui varient selon les individus, les contextes et les types d’épreuve. La littérature distingue généralement trois catégories de ressources (Masten, 2001 ; Luthar et al., 2000) :
1. Ressources internes :
tempérament stable,
sentiment d’efficacité personnelle (Bandura),
régulation émotionnelle (Gross, 2002),
capacité de projection dans l’avenir.
2. Ressources externes :
relations soutenantes (famille, pairs, soignants),
environnement structurant (cadre de vie, rythme, continuité),
reconnaissance institutionnelle (soutien public, soins, écoute).
3. Ressources symboliques :
capacité à donner sens à l’épreuve (logothérapie, Frankl),
recours à la spiritualité, à l’engagement, à la narration,
sentiment d’utilité ou de transformation possible.
Ces facteurs interagissent de manière non linéaire : un seul soutien relationnel stable peut suffire à enclencher un processus de relèvement, même après des traumatismes sévères (Werner, 1992 ; Vanistendael, 2003).
C. Résilience individuelle et collective
La résilience peut être individuelle, mais elle peut aussi s’observer à l’échelle des groupes, des communautés, ou des institutions.
Michael Ungar (2011) parle de résilience sociale pour désigner la capacité d’un environnement à fournir des conditions minimales de sécurité, de justice et de soutien, qui permettent aux individus de mobiliser leurs ressources internes.
Après une catastrophe (deuil collectif, crise sanitaire, guerre), la reconstruction collective devient un levier essentiel de résilience, à travers les rituels, les solidarités locales, les récits partagés.
Il n’existe donc pas une seule manière de "rebondir". Il existe des conditions — humaines, sociales, temporelles — qui rendent possible la reconstruction.
II. Les déséquilibres de la vie : reconnaître, nommer, traverser
La résilience ne peut s’activer que lorsqu’un déséquilibre réel a été vécu. Il est donc essentiel de ne pas romantiser l’épreuve ni de précipiter sa "gestion". Les déséquilibres de la vie sont souvent déroutants, profonds, et touchent à des couches multiples de l’existence : émotionnelle, corporelle, sociale, existentielle.
La première étape du processus de résilience n’est pas la réponse — c’est la reconnaissance de la rupture.
II.A. Types de déséquilibres fréquents
1. Événements soudains ou brutaux
décès, accident, diagnostic grave, rupture inattendue, licenciement, agression.
Ces événements créent un effondrement rapide du cadre psychique, souvent accompagné d’un sentiment de perte de contrôle, voire de sidération.
2. Crises progressives ou silencieuses
burn-out, surcharge mentale, épuisement relationnel, dépression, perte de sens.
Ici, le déséquilibre s’installe lentement, parfois de manière invisible, jusqu’à une rupture intérieure difficile à nommer.
3. Changements structurels
migration, instabilité professionnelle, précarité, transition identitaire (âge, genre, rôle).
Ces contextes bouleversent l’ancrage existentiel d’un individu : appartenance, rythme, statut, continuité.
La diversité des formes de déséquilibre rend toute norme de “gravité” inopérante. Ce qui compte, c’est l’expérience subjective du basculement, quel que soit le regard extérieur porté sur l’événement.
II.B. Effets psychiques et corporels
Lorsque l’équilibre est rompu, le corps et le psychisme réagissent ensemble. L’organisme entre souvent dans un mode de survie, avec des manifestations multiples (van der Kolk, 2014 ; Sapolsky, 2004) :
troubles du sommeil, tensions musculaires, troubles digestifs,
état de sidération ou d’agitation extrême,
désorientation temporelle, perte de motivation, difficulté à penser,
instabilité émotionnelle, irritabilité, repli, hypersensibilité ou anesthésie.
Ces réactions ne sont pas pathologiques en soi : elles expriment une tentative d’adaptation de l’organisme à une perte de repères ou à une surcharge. Mais si elles perdurent sans accompagnement, elles peuvent altérer durablement les capacités d’ajustement.
II.C. Première étape : accueillir l’instabilité
L’une des erreurs les plus fréquentes, dans notre culture de la performance et du “rebond rapide”, consiste à vouloir aller mieux trop vite.
Les études sur le trauma (Janoff-Bulman, 1992 ; Bonanno, 2004) montrent que le processus de réorganisation intérieure passe souvent par des phases :
Choc et sidération : mécanismes de repli ou de figement.
Phase émotionnelle : colère, tristesse, déni, révolte.
Phase d’adaptation : recherche de solutions, de nouveaux repères.
Phase d’intégration : mise en récit, réengagement, sens.
Tenter de "tourner la page" sans avoir traversé ces étapes peut produire une résilience de surface, ou refouler des déséquilibres qui réapparaîtront plus tard sous forme de somatisations, de rupture relationnelle ou de fatigue chronique.
Reconnaître l’instabilité comme légitime, transitoire et vivante est la condition pour qu’une nouvelle forme d’équilibre puisse émerger.
III. Les leviers de la résilience personnelle
La résilience n’est pas un trait de caractère figé. C’est une capacité qui s’active dans certaines conditions, grâce à des ressources internes et externes qui peuvent être réveillées, soutenues et cultivées, même après un fort déséquilibre.
Il ne s’agit pas de “rebondir” rapidement, mais de reconstruire, à son rythme, un terrain intérieur suffisamment stable pour vivre à nouveau en lien avec soi-même et le monde.
III.A. Stabiliser le corps et le système nerveux
Aucun travail émotionnel ou existentiel ne peut s’amorcer durablement si le système nerveux est en état d’alerte chronique. La première étape de toute résilience est souvent corporelle (van der Kolk, 2014 ; Ogden, 2006).
Outils validés :
respiration rythmée (cohérence cardiaque, respiration 4-6),
mouvements doux et réguliers (marche, yoga, automassages),
sommeil priorisé, routines de sécurité corporelle (nourriture, température, lumière).
Stabiliser le corps permet de rassurer le système limbique, de calmer l’hypervigilance et de redonner au cortex préfrontal (centre de la décision et de l’élaboration) sa pleine capacité.
III.B. Nommer et mettre en récit
La mise en mots est un acte de structuration. Ce qui n’est pas nommé reste diffus, désorganisé, et peut produire de l’angoisse sans objet (Pennebaker, 1997 ; White & Epston, 1990).
Moyens concrets :
Tenir un journal de reconstruction ou un “journal du présent” (ce que je vis, sans chercher à interpréter).
Nommer les étapes traversées (chaos, attente, clarté, peur, relâchement…).
Parler à une personne de confiance, à un thérapeute, ou dans un cadre contenant (groupe, cercle, rituel).
Le récit n’efface pas l’épreuve, mais il la place dans une temporalité, ce qui permet de se réinscrire dans une histoire, et non dans une répétition.
III.C. Reconnecter au soutien social
Les études sur la résilience insistent sur l’importance déterminante du lien humain (Werner, 1992 ; Luthar et al., 2000). Une seule relation stable et soutenante peut faire une différence radicale dans la traversée d’une crise.
Clés pratiques :
Identifier les personnes ou lieux qui ne jugent pas, n’accélèrent pas, n’interprètent pas, mais simplement soutiennent.
Revenir vers des cercles existants (famille, amis, réseau associatif) ou en créer de nouveaux (groupes de parole, entraide entre pairs).
Demander de l’aide, même ponctuellement, sans honte — la résilience est souvent relationnelle avant d’être individuelle.
III.D. Retrouver du sens et du mouvement
La dernière phase du processus de résilience implique un réengagement progressif dans le monde, depuis un lieu intérieur transformé.
Pour cela :
Interroger ce que cette épreuve a révélé : besoins refoulés, valeurs fondamentales, attachements devenus obsolètes.
Imaginer une nouvelle direction, même très modeste (activité, relation, apprentissage, rythme).
Se remettre en mouvement à partir de ce qui est possible aujourd’hui : le mouvement crée l’énergie, même infime.
Le sens ne précède pas toujours l’action : il peut émerger en chemin, à travers le fait de poser un geste, de réinvestir une zone de vie, de transmettre une part de son expérience.
IV. Vivre avec, transformer, transmettre
La résilience ne consiste pas à effacer l’épreuve. Elle ne vise ni l’oubli, ni l’optimisme forcé. Elle suppose au contraire d’intégrer ce qui a été vécu, sans s’y enfermer, pour en faire un point d’appui, un point de transformation, voire un point de transmission.
Il ne s’agit plus seulement de se relever : il s’agit d’apprendre à vivre avec une vie qui a changé — et parfois, à s’en faire un espace plus lucide, plus profond, plus engagé.
IV.A. Intégrer sans se définir uniquement par l’épreuve
De nombreuses personnes ayant traversé un déséquilibre majeur — maladie, deuil, burn-out, trauma — rapportent un sentiment ambivalent : celui d’avoir été changées, mais de ne pas vouloir être réduites à cette expérience.
La phase d’intégration consiste à :
reconnaître ce qui a été traversé,
accueillir les traces laissées (émotionnelles, physiques, symboliques),
se permettre de ne pas aller “comme avant”, tout en refusant de se définir uniquement par la blessure.
Cette posture est centrale dans les approches de trauma recovery (Herman, 1992) : réconcilier l’avant, le pendant et l’après, sans nier l’un ni idéaliser l’autre.
IV.B. Grandir dans l’après : la croissance post-traumatique
Contrairement à une idée reçue, certaines personnes ne se contentent pas de survivre à l’épreuve. Elles rapportent un renforcement de certaines dimensions de leur vie : sens, liens, présence, engagement, gratitude. Ce phénomène est connu sous le nom de croissance post-traumatique (Tedeschi & Calhoun, 2004).
Cinq domaines ont été identifiés :
une appréciation accrue de la vie,
des relations plus profondes,
un sentiment de force intérieure,
une réorientation des priorités,
un changement spirituel ou existentiel.
Cette croissance ne concerne pas tout le monde, ni tous les types d’épreuves. Mais elle rappelle qu’un déséquilibre profond peut ouvrir un espace de transformation, s’il est soutenu, reconnu et traversé sans précipitation.
IV.C. Transmettre : le récit comme ressource pour les autres
Enfin, la résilience peut s’achever — ou se poursuivre — par une forme de transmission. Le fait de partager son parcours, même partiellement, peut :
aider d’autres à se sentir moins seuls,
renforcer le sentiment de cohérence et d’utilité,
restaurer la dignité et la continuité de l’expérience.
Les formes de cette transmission peuvent être multiples :
engagement associatif ou professionnel,
écoute bénévole ou pair-aidance,
écriture, création, témoignage, formation,
ou simplement la disponibilité paisible à ceux qui traversent à leur tour.
Dans certains cas, le plus grand effet de la résilience n’est pas ce qu’elle nous permet de retrouver — mais ce qu’elle nous permet de transmettre.
Conclusion
L’équilibre personnel n’est pas un état permanent ni un idéal statique. Il est, comme l’a montré l’ensemble de cette série, un processus vivant, fait d’ajustements, de basculements, de reconstructions.
Parmi les dynamiques les plus profondes de cet équilibre, la résilience occupe une place singulière : elle intervient précisément là où l’équilibre semble perdu — là où le sol se dérobe, où l’horizon se brouille, où le corps ou l’esprit vacillent.
Les apports croisés de la psychologie clinique (Cyrulnik, Bonanno), des neurosciences du trauma (van der Kolk) et des modèles systémiques (Ungar, Vanistendael) montrent que la résilience n’est ni un retour à la normale, ni un déni de la douleur. Elle est un réapprentissage progressif de la stabilité : un ancrage nouveau, une manière d’habiter le monde après l’épreuve, parfois plus profondément qu’avant.
Elle repose sur des ressources qui peuvent être mobilisées, même dans la vulnérabilité : le corps régulé, le lien restauré, le récit mis en forme, le sens reconstruit. Et elle se poursuit souvent, silencieusement, dans les gestes ordinaires du quotidien : un pas repris, un mot adressé, un projet esquissé, une aide transmise.
Être résilient, ce n’est pas être invulnérable. C’est être capable de retrouver un point d’appui en soi, même après la fracture.
Et de construire, depuis ce point, un équilibre plus juste, plus ancré, plus habité.
Dans le dernier article de cette série, nous aborderons l’art de maintenir un équilibre dans la durée : non pas comme un état figé à défendre, mais comme une pratique vivante à renouveler, ajuster et transmettre.
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